Joualles et hautains

Joualles et hautains dans le Comminges

Château Saleich Les Vergers retrouvés du Comminges

Une présentation aux élèves du Lycée Agricole nous a fourni l’occasion de parler entre autres particularités commingeoises, de la culture de la vigne sur hautain et du système de culture intercalaire que nous connaissons sous le nom de « joualle ». Rentrée à la maison, j’ai eu la curiosité et le temps d’en chercher un peu plus sur le sujet.

Joualles Hautains Les Vergers retrouvés du Comminges

Wikipedia m’a ouvert quelques portes et j’ai ainsi pu constater que les joualles sont, ou plutôt ont été, assez largement répandues. La définition proposée correspond tout à fait à ce que nous connaissons dans le Comminges, même si la région n’est pas citée :
« La joualle est un système de culture associant plusieurs espèces végétales sur la même parcelle. Elle a été pratiquée en Aquitaine.

Il s’agissait de rangées de vigne à écartement variable, généralement de largeur permettant aux attelages de bœufs de passer, jusqu’à parfois 15 mètres. Des arbres fruitiers, « pêches de vigne » mais aussi cerisiers en Gironde, pruniers d’Ente dans le Lot-et-Garonne et le Périgord ou encore abricotiers sur les coteaux du Lot et de la Garonne étaient régulièrement implantés dans chaque rang. Les parcelles intercalaires étaient cultivées. Toutes sortes de cultures pouvaient s’y trouver : blé, fourrage, betteraves, pommes de terre ou tabac. »

Joualles Hautains Les Vergers retrouvés du Comminges

Selon Guy Lavignac, spécialiste de la vigne dans le Sud-Ouest, la joualle est la « forme féminine de l’ancien français du XVIe siècle jouau, « pièce de bois servant à attacher la vigne », issu du latin jugum, « joug ». (Cf. Guy Lavignac, Cépages du Sud-Ouest : mémoire d’un ampélographe, Editions du Rouergue, 2001 )

Le CNRTL (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales) est plus prolixe :
Étymol. et Hist. xvies. Bordelais jouale « latte de bois posée sur deux branches fourchues servant de berceau à la vigne » ; 1793-94 Agenais joualles « rang de ceps de vignes alternant avec des bandes de terrain semées de céréales » (doc. Arch. du Lot-et-Garonne ds P. Deffontaine, Les hommes et leurs travaux dans le pays de Moyenne Garonne, 1932, p. 227, note 2 : depuis quelques années, on a introduit un nouveau mode de planter la vigne en Agenais : on les plante à 6 pieds de distance et on les travaille à la charrue. Ces lignes s’appellent cancé ou joualles). Terme des pays de Moyenne Garonne, attesté en a. gasc. au xves. sous la forme joalle pour désigner une mesure de longueur appliquée à la vigne, substantivation de * [vinha] joalle, forme fém. de joual, jouaou « rangée de vigne » (Agen ds FEW t. 5, p. 61 a), auquel correspond dans le domaine d’oïl, le blésois jouau « sorte de berceau pour lier la vigne » et « planche de vigne », attesté, d’autre part dès 1276 par son dér. jouallée « rangée de vigne alternant avec des sillons de céréales ». Jouau représente le lat. jugalis « en forme de joug », employé substantivement, dont dérive également une forme parallèle *joel, d’où le fém. jouelle « pièce de bois servant à attacher la vigne »

L’article de Wikipédia souligne que « ce mode de culture préservait la biodiversité. Il a disparu en France au cours du XXe siècle mais commence à revenir via les techniques d’agroforesterie. Il se retrouve encore aujourd’hui dans le Minho, région septentrionale du Portugal […]».

Un nouvel exemple de retour à des méthodes ancestrales après des années d’abandon et de longues études scientifiques….

Joualles Hautains Les Vergers retrouvés du Comminges

Nous avons eu l’occasion de « visiter » voici plusieurs années une joualle de taille très modeste à Saleich (canton de Salies du Salat), où un ancien agriculteur avait conservé deux ou trois rangs de vigne sur hautain et cultivait entre les rangs choux, pommes de terre…. pour lui et ses quelques poules et lapins. Nous ne sommes pas retournés le voir depuis quelques temps et je ne sais pas si elle existe encore. Dans le canton subsistent quelques vignes sur hautains, mais les espaces intercalaires ne sont plus utilisés. La plupart des ceps poussent sur des piquets, les érables champêtres qui faisaient office de tuteur vivant à l’origine sont morts ou ont été arrachés.

Par contre on observe encore de nombreux alignements d’érables champêtres en lisière ou au milieu de champs qui témoignent de la présence de vignes autrefois, l’élagage annuel pratiqué durant des décennies a en effet modelé ces arbres de manière très caractéristique. Il n’est pas rare qu’un pied de saule vienne confirmer cette implantation (les jeunes branches de saule étaient utilisées pour attacher les rameaux).

Joualles Hautains Les Vergers retrouvés du Comminges

D’après les renseignements que nous avons pu collecter sur le terrain, il semble que l’intérêt de cette « agroforesterie » avant la lettre était de plusieurs ordres :

  • le maintien de la vigne à une certaine hauteur du sol limitait les dégâts des gelées tardives
  • la taille simultanée de la vigne et de l’érable était rapide et sommaire, on se contentait de former une « boule » et on supprimait ce qui dépassait
  • le gain de place, car une même parcelle contenait les pieds de vigne pour la consommation familiale et le potager ou du fourrage/des céréales pour les bêtes.

L’intérêt et les études consacrées à l’agroforesterie depuis quelques années montrent que les plantes retirent de ce voisinage un bénéfice mutuel, que la vie du sol en est grandement enrichie, … avantages supplémentaires de ce mode de culture.

Après les ravages du phylloxéra, la mécanisation a eu raison des vignes sur hautains, comme d’un certain nombre de vergers  qui gênaient le passage des tracteurs.                  

E.J.

Quelques exemples au travers de cartes postales

Joualles Hautains Les Vergers retrouvés du Comminges

Joualles Hautains Les Vergers retrouvés du Comminges

Joualles Hautains Les Vergers retrouvés du Comminges

Joualles Hautains Les Vergers retrouvés du Comminges

Joualles Hautains Les Vergers retrouvés du Comminges

Joualles Hautains Les Vergers retrouvés du Comminges

Joualles Hautains Les Vergers retrouvés du Comminges

Une découverte à Roquefort

En juin 2016, une vigne sur pieds d’érables nous a été signalée à Roquefort sur Garonne. Abandonnée depuis longtemps et partiellement envahie par les ronces, elle occupe un très beau site au pied d’un versant de montagne près de Montclar.

C’est une architecture comme on peut les voir sur les cartes postales, une véritable parcelle de vigne et non pas un petit alignement subsistant, composée de 8 rangs complets, d’une quinzaine de pieds chacun.

Il reste encore quelques rares ceps de vigne grimpants et les érables, plus taillés depuis des décennies, sont devenus de vrais arbres. Les marques des tailles régulières pendant les années d’exploitation de la vigne sont faciles à reconnaître. On comprend bien comment la culture était organisée, en cances et joualles avec des cultures intermédiaires. Les adaptes de l’agroforesterie ne peuvent pas faire pas mieux !

Nous sommes revenus observer l’hiver suivant, quand l’abondant feuillage des érables est tombé et laisse bien apparaître la structure des arbres.

Nous  avons remarqué 3 ceps encore en place, dont probablement un seul est encore vivant, nous avons tenté une bouture….

Nous avons noté que la parcelle de hautains est bordée d’une haie sur deux côtés, nous y avons remarqué quelques pruniers qui ne semblent pas « sauvages ».

Il semble que cette parcelle appartienne à un agriculteur plus très jeune, qui utilise le terrain pour ses vaches, heureuses d’être à l’ombre en été. Cette parcelle est proche d’une ferme en ruines, qui aurait été abandonnée après la guerre, suite au décès d’un ou plusieurs membres de la famille.

Nous sommes revenus à plusieurs reprises, à différentes saisons, pour poursuivre et élargir l’observation : nous avons découvert un certain nombre d’arbres fruitiers, de nombreux pruniers différents, quelques poiriers, peu de pommiers… et surtout un autre alignement d’érables, eux aussi caractéristiques d’anciens hautains, ainsi qu’une autre parcelle d’ancienne vigne, tout à fait similaire à la première. Les photos aériennes laissent penser qu’il y en a deux autres aujourd’hui dans la forêt.